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Alsace

par | 21 Fév 2025 | 0 commentaires

 

Parmi les vignobles qui marquent l’histoire on oublie parfois, ou on dénigre, le vignoble Alsacien. Pourtant reconnu depuis l’Antiquité, ses 15 000 ha ne cessent d’étonner par leur côté vertueux. L‘INRAE classant en 2024 cette région comme celle ayant les sols les plus vivants !!  Pionniers dans l’établissement du bio, l’enherbement des parcelles, avec une diversité de sols et de terroirs que ses voisins lui envient, quelles sont les raisons qui laissent l’Alsace, dans le cœur des consommateurs au statut de productrice de petits vins blancs au goût de litchi ou de vins doux ?

Mes nombreux séjours dans cette région m’ont fait percevoir peut-être une partie de la réponse avec la persistance d’un « complexe de l’imposteur ». En effet, encore aujourd’hui j’ai pu entendre des termes comme « vins de Bosch » de la bouche même des producteurs, comme si ce terme était encore utilisé par certains clients. Ou encore des comparaisons se référant à des origines catholiques ou protestantes, les uns seraient plus vibrants et fruités quand les autres seraient prétendument plus austères. Mais aussi j’ai pu voir une envie pour certains de rayonner plus, en discutant de la possibilité d’ajouter une strate de Premier Cru à la classification actuelle. Quelle région n’est pas tentée de rester enracinée dans son histoire ? La zone de confort…

Et pourtant, la solidarité entre vignerons ici est impressionnante, une curiosité, et des échanges entre chacun et chaque méthode de production. J’ai vu des ingénieurs qui regardent vers le futurs, j’ai vu des nostalgiques s’inspirer des méthodes historiques pour réinventer un style. Il y a tant de choses à dire sur cette région qui m’a prise par le cœur…Je vous propose de vous emmener au long des ces quelques lignes, toucher du doigt l’énergie alsacienne au delà de ces cépages nobles.

La répartition des terroirs en Alsace

L’Alsace est l’une des régions les plus riches en diversités de sol en France, si ce n’est la plus riche ! 20 sols majeurs y sont identifiés. On peut considérer que de manière générale, les sols les plus pentus et les plus en altitude, le long des Vosges sont plutôt riche en gneiss, granite, sable éolien, schiste, volcanique. Soit cristallins et métaphoriques. Ce sont des sols, à l’exception du volcanique, qu’on considère pauvre et plutôt à pH bas (acide).

Schéma découpe des sols Piémont Alsacien
Crédit Photo @CIVA

 

  • Les sols plus bas en altitude, en pente plus douce sont plus riche en marne, argile, calcaire et sable. Ce sont des sols, au pH plutôt basique; les marnes et l’argile sont plus riches en nutriments, ils demandent donc une attention plus particulière à la densité de plantation et aux choix de greffon.
  • Le sol le plus représentatif de la région étant le grès des Vosges Rose, celui qui compose les bâtiments prestigieux notamment sur Strasbourg. On le retrouve sur les terroirs d’altitudes côté vosgien. Sol pauvre et acide.

Le terroir en mosaïque du sol de la région Alsace est considéré comme celui contenant le plus de diversité en France, on peut même élargir cette observation pour un terroir viticole si petit, à peine 13000 ha, au monde entier. À l’exception de l’Australie, continent plus ancien qui offre une richesse de sols encore plus grande. C’est un peu David contre Goliath 😉 le continent Australien ne nous tiendra pas rigueur d’éprouver une si grande fierté chauvine.

13 terroirs Alsace
Crédit Photo @CIVA

À l’initiative de l‘association des jeunes vignerons d’Alsace, une analyse et identification des sols a permis de créer une carte des sols qui été fondée sur le cadastre parcellaire et sur le travail déjà effectué par les villages porteurs d’un projet de reconnaissance d’une dénomination communale ou de Premier Cru. L’idée n’est pas de se substituer à l‘INAO mais bien de retrouver les mention de lieux.

Carte des sols Alsace
Crédit photo @Les Jeunes Vignerons d’Alsace

Le Système d’Appellation Alsacien

Il n’y a pas plus simple ! Je le dis sans ironie, les germanophone auront plus de facilité à retenir les noms de cru et de village, mais il est indéniable que le système allie les forces des appellation par cépage et celles par nom de lieu.

AOC Alsace et Crémant d’Alsace

Les 2 appellations régionales, AOC Alsace, AOC Crémant d’Alsace couvrent l’ensemble créé par les 2 départements Alsacien: Le Bas Rhin au Nord, le Haut Rhin au Sud.

Les rendements autorisés pour l’AOC Alsace sont entre 80 hl/ha et 100 hl/ha en fonction du cépage, ce qui se comprend par la grande productivité naturelle des cépages Alsaciens, à commencer par le Riesling. Et qui explique donc un excellent rapport qualité/prix pour les vins de cette région.

Le Chardonnay est toléré en Alsace, car il peut entrer dans la composition du Crémant, cette AOC créée en 1976 et modifiée en 2011, représente 29% de la production totale régionale. Tout le monde en fait, et les Alsaciens sont fiers de leur crémant. Un label « émotion » a même été créé pour rendre hommage aux meilleurs d’entre eux.

L’AOC Alsace a été créé en 1962, soit près de 30 ans après les premières AOC française, l’explication est assez simple: les turpitudes vécues dans cette région depuis la reprise par l’Allemagne en 1871, et sa réintroduction en France en 1918.

Le saviez vous ? Le cahier des charges n’oblige pas les producteurs à produire des vins monocépages.

Mentions communales

Pas de premiers crus mais l’autorisation depuis 2011 d’ajouter des mentions communales et Lieux dits, au total 13: Bergheim, Blienschwiller, Côtes de Barr, Côte de Rouffach, Coteaux du Haut-Koenigsbourg, klevener de heiligenstein, Ottrott, Rodern, St-Hippolyte, Scherwiller, Vallée Noble, Val St-Grégoire, and Wolxheim. Les rendements ici descendent à 68 hl/ha pour les blancs et 60 hl/ha pour les vins rouges.

Chaque lieu à une ou plusieurs couleurs autorisées, et parfois uniquement un cépage autorisé !

AOC Alsace Mention communale
@Crédit photo cahier des charges

 

AOC Alsace Grand Cru

En 1975, l’appellation Grand cru fût créée avec 51 climats, cette appellation a été modifiée en 2007 pour devenir 51 Grands crus sur les mêmes délimitations. Nous reviendrons plus tard sur la raison pour laquelle cette modification a eu lieu. Un petit indice toutefois avec l’entrée du Sylvaner en cépage autorisé dans le Grand cru Zotzenberg. Les derniers cahiers des charges datés de 2011 indiquent les cépages autorisés, les assemblages autorisés dans chacun des 51 Grands crus. Dans le principe les Vins AOC alsace Grand cru sont issus d’un seul cépages parmi les cépages dits nobles: Riesling, Gewurztraminer, les différents Muscats et le Pinot gris, ou l’assemblage des muscats (Petit grain, rosé, Ottonel)

Voici les exceptions, il est intéressant de noter que contrairement à l’idée reçue, les assemblages peuvent aussi être l’apanage des grands terroirs. Bien sûr des discussions existent sur des Grands crus trop grand, sans uniformité de sols…mais n’est ce pas la même discussion dans d’autres régions du Monde (Côte de Nuits, Barolo par exemple)

Carte Vignoble alsacien
Crédit photo @la carte des vins svp

  • Alsace grand cru Altenberg de Bergheim :
    • soit d’un seul des cépages suivants : Gewurztraminer Rs, Pinot gris G, Riesling B
    • soit d’un assemblage des cépages suivants :
      • cépage principal : riesling B,
      • cépages complémentaires : Gewurztraminer Rs, pinot gris G, 6
      • cépages accessoires : pour les vignes plantées avant le 26 mars 2005, Chasselas B, Muscat à petits grains B, Muscat à petits grains Rs, Muscat Ottonel B, Pinot blanc B, Pinot noir N.
  • Alsace grand cru Zotzenberg sont issus d’un seul des cépages suivants : Gewurztraminer Rs, Pinot gris G, Riesling B, Sylvaner B.
  • Alsace grand cru Kaefferkopf sont issus :
    • soit d’un seul des cépages suivants : Gewurztraminer Rs, Pinot gris G, Riesling B,
    • soit d’un assemblage des cépages suivants :
      • cépage principal : Gewurztraminer Rs,
      • cépage complémentaire : Riesling B,
      • cépages accessoires : Muscat à petits grains blancs B, Muscat à petits grains roses Rs, Muscat Ottonel B, Pinot gris G.

Mentions complémentaires

Il existe 2 mentions complémentaires, utilisables uniquement pour les cépages dit nobles: Riesling, Gewurztraminer, Pinot Gris, Muscat(s)

  • Vendanges tardives (VT), correspond à un taux minimal de sucre présent à la récolte. 270 gr/l pour le Gewurztraminer et le Pinot Gris, 244 gr/l pour le Riesling et le Muscat
  • Sélection de Grains nobles (SGN), correspond à un taux minimal de sucre présent à la récolte. 306 gr/l pour le Gewurztraminer et le Pinot Gris, 276 gr/l pour le Riesling et le Muscat

Les raisins doivent obligatoirement être ramassés à la MAIN pour préserver leur état fragile, et les vins doivent être élevés 18 mois. Les raisins pour la Sélection de Grains Nobles doivent être botrytisés à 100%, ce qui n’est pas obligatoire pour les VT. La chaptalisation est interdite. Ces derniers peuvent d’ailleurs être vinifiés secs ce qui n’est bien entendu pas possible au vu des taux de sucre pour les SGN.

Le saviez-vous ? Des vins issus des autres cépages peuvent être produits en sur-maturation, dans ce cas ils sont spécifiés « botrytisés » si c’est le cas.

Histoire et modèle commercial de l’Alsace

L’Alsace entre dans l’histoire française au XVIIème siècle, le développement des vignobles dès l’époque Antique est intrinsèquement lié à ceux d’Allemagne. Ce sont les romains qui dès -58 avant notre ère installent les vignes. Celles-ci se développent. Ce qui explique le choix de planter les cépages dans les lieux qui leur correspondent le mieux. Cette notion est très importante pour ne pas rejeter en bloc le système actuel. Si la Moselle est connue pour la qualité de ses Riesling, de même pour le Rheingau c’est bien que ce cépage a toutes les qualités requises pour s’exprimer de manière unique sur ces terroirs. Baladez-vous dans ces régions et vous trouverez des vins produits à base de FürBurgunder (Pinot Noir Précoce) ou même encore de Cabernet Sauvignon, mais vous constaterez que bien que plaisant ils ne peuvent atteindre la qualité de leur confrère. L’histoire des choix de cépage et de terroirs, comme partout ailleurs est donc lié à l’observation. D’abord celle des micro-climats, liée elle aussi au sol. Les sols d’ardoise schisteuse en Moselle permettent de restituer la chaleur pendant la nuit, associé aux reflets de la Moselle (fleuve) qui eux permettent d’optimiser la radiation des UV, et ainsi d’optimiser naturellement la photosynthèse. On le sait, un cépage a besoin avant tout d’un certain type de climat mais aussi d’un certain type de sol. Toutes les variétés de vitis vinifera n’apprécient pas les sols de calcaire par exemple, trop pauvre en fer.

Un climat unique

Situé entre le 47°N et le 49°N, l’Alsace est passé de climat presque le plus méridional allemand (après Baden) à celui de quasi le plus septentrional français (après la Moselle). La région s’étend sur 100 km du nord au sud, on y compte les villes de Strasbourg, Ribeauvillé, Colmar et Mulhouse au sud. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle est l’une des régions les plus sèches de France avec 594,4 mm de pluie/an. Sa saison végétative est longue et fraîche et ses automnes sont humides ce qui permet le développement du botrytis essentiel pour la production des vins en SGN et idéal pour celles des VT.

Les vignobles sont plantés entre 175 et 550 mètres le long du massif des Vosges, surplombés de forêt de pins.

Le Rhin sépare l’Alsace de l’Allemagne, et les Vosges séparent celle-ci du reste de la France.

La qualité des vins impactée par les vas-et-vient de l’Histoire

Dans l’histoire moderne, l’Alsace est française suite aux traités de Westphalie signés en 1648 sous le règne de Louis XIV encore sous régence d’Anne d’Autriche sa mère, ce qui explique bien des choses, bien que le cœur des alsaciens soient loin d’être conquis

« Aucune ville d’Alsace ne pouvait me recevoir, soit parce qu’elles sont protestantes, soit parce qu’elles sont autrichiennes de cœur, soit parce qu’elles ont trop souffert des troupes françaises. » Cardinal Mazarin

Quand en 1871, la région redevient Allemande, le vignoble est détruit par les conséquences du phyloxera et de l’oïdium. Ceux-ci sont replantés en plaine avec des plants hybrides qui permettent d’augmenter les rendements et de répondre aux besoins. Ce n’est qu’en 1918 quand la région rejoint le territoire français que vitis vinifera fût replantée sur les territoires mieux exposés et mieux drainés (sur les côteaux Vosgiens). Mais la seconde guerre mondiale va à nouveau freiner l’avancé qualitative des vins Alsacien. En effet, sous l’occupation allemande, la production est non seulement freinée, mais les conséquences économiques sont désastreuses car le vignoble perd son marché d’exportation. Il faudra attendre les années 1960 à 1970 pour reconstruire le marché export.

Instantané du Vignoble Alsacien de nos jours

Le vignoble est planté à 90% de blanc, avec le Riesling en tête (21%), cépage tardif avec un très long cycle de croissance, mais avec d’excellents rendements ce qui en fait un cépage idéal sur ce climat. À égalité avec le Pinot blanc entrant dans la composition du Crémant. Parmi les 7 cépages majoritaires on retrouve le Gewurztraminer dont la gourmandise peut être compensé en augmentant les niveaux de glycérol dans les vins. Le Gewurztraminer est un cépage précoce qui donne des petits rendements. Ses plantations sont en déclins ces dernières années, on le plante parfois au nord pour palier sa tendance à produire beaucoup de sucre. Le Pinot gris, le suit de près, enclin lui aussi à la production de taux de sucre élevés, c’est un cépage précoce, très sensible à la piqûre, il attire la mouche Suzuki et les années de fortes abondance de cet insecte voient ses rendements gravement affectés. Le dernier des Grains Nobles, est composé de plusieurs variétés et ne compose qu’un petit 2% du vignoble. On y trouve les Muscat Petits Grain, Le Muscat Rose et enfin le Muscat Ottonel que l’on retrouve uniquement dans cette région. Le Grand Cru Goldert produit les plus belles expressions de ce cépage, qui est généralement vinifié en sec. Ici on le reconnaît par ses aromatiques rappelant la chlorophylle ou encore la menthe fraîche.

Au contraire, le Sylvaner planté à hauteur de 5% vit une renaissance comparable à celle de  l’Aligoté en Bourgogne. Des versions hauts de gamme avec des élevages plus poussés, ou encore des versions botrytisées.

L’Alsace ou la renaissance du Pinot Noir

Comme indiqué précédemment, l’AOC Grand Cru a vécu une révolution en 2007 en passant d’un Grand Cru et 51 climats (similaire à Chablis) à 51 Grands crus distincts. Voici quelques réflexions sur les apport d’une telle modification.

Vin de cépage est-il l’antithèse de Vin de terroir ?

À bien y regarder, les vins d’Alsace sont bien ancrés dans leur histoire quand ils étaient encore Elsass, région du pays voisin L’Allemagne. Les discussions courent depuis une dizaine d’années au moins, surtout depuis la création du collectif Jeune Vignerons d’Alsace créé en 2016 qui revendique une reconnaissance, un rapprochement du goût du terroir dans la volonté de rompre (un peu) avec ce qui peut sembler une simplification de la seule mention du nom de cépage. C’est une question qui a le mérite d’être posée: peut-on opposer la mention de cépage à celle de terroir ?

« Nous souhaitons que les vignerons puissent vivre de leur terroir. Or le maintien d’une production de vins de cépages tire les prix vers le bas et fait disparaitre ceux qui ne peuvent pas produire à bas coût. », s’indigne Denis Hebinger, du domaine Famille Hebinger.

Bien d’autres vins de cépage connaissent le prestige

Est ce bien vrai ? Je m’interroge sur ce constat… Ma formation WSET® m’a fait découvrir de nombreuses cuvées issues de cépages, notamment le Cabernet Sauvignon, mais aussi la Syrah qui ne pâtissent pas d’une baisse de prix. Cette sentence ne serait-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? En d’autres termes n’est ce pas une sur-simplification. Est-ce vraiment le fait qu’on traite les vins d’Alsace par leur nom de cépage qui empêche d’augmenter les prix ? On peut demander à Jean Michel Deiss, Olivier Humbrecht, Pierre Trimbach et tant d’autres qui clairement ne semble pas s’embarrasser avec cette idée de prix bas.

Si effectivement on peut craindre que la grande partie des consommateurs n’entendent pas grand chose à la notion de terroirs, on peut justement argumenter que la raison pour laquelle les vins d’Alsace sont très appréciés est qu’ils sont quelque part plus faciles à lire. Untel sait qu’il apprécie le Gewurztraminer, un autre le Pinot gris…

Une curiosité pour le vignoble d’Alsace renouvelée

Ces derniers mois on m’a très souvent demandé d’axer mes présentations justement sur cette belle région. Et j’ai moi même, dans la suite d’Éric Dugardin mon prédécesseur auprès de la formation MCS de Lille, choisi d’emmener les apprentis sommeliers dès le mois de septembre tous les ans en première découverte de terroirs et de savoir faire en Alsace. Je ne pense pas que le fait de comprendre les cépages empêche de comprendre les terroirs. Pour moi il faut y voir plutôt l’avantage d’une lecture à plusieurs niveaux. Tout comme la lecture d’Alice au pays des merveilles, Le petit Prince ou encore Fondation d’Asimov sont capables de réjouir les enfants autant que les adultes grâce à au sens profond caché sous une surface plus légère. Je dirais même que si ces livres traversent le temps, tout comme les vins d’Alsace, c’est grâce à cette profondeur qui montre une fausse légèreté. N’est ce pas aussi la force des contes d’Anderson ou des frères Grim ? Les vins d’Alsace permettent ainsi un accès simple à tout à chacun sans pour autant empêcher les plus avertis d’entre nous de relever la complexité, le sens profond de beaucoup d’entre eux. Libres aux curieux, aux inquisiteurs du goût de s’en donner à cœur joie pour aller plus loin dans la compréhension du goût de terroir mais est il nécessaire d’intimider les néophytes ?

Et puis, ce que je peux lire entre les lignes des défendeurs du goût de terroir, ressemble bien à une trame marketing à la française, distinguer nos vins par nos terroirs n’empêche-t-il pas toute copie ? C’est de bonne guerre, et usité aussi dans les pays du nouveau monde. Là où je rejoins le mouvement c’est dans l’interdiction que fait l’INAO ces dernières années d’ajouter les noms de lieu aux cuvées, lorsque ceux-ci sortent des 13 dénominations communales et lieux-dits autorisés en 2011. Mais, dans d’autres région on utilise les noms de cuvées et cela reste une solution.

Lors de mes pérégrinations alsaciennes j’ai pu discuter avec divers producteurs à propos de l’opportunité ou non de créer des premiers crus. Il était question de part de gâteau. Pour les pro/pour, les premiers crus permettraient de vendre plus chers, pour les anti, ceux-ci ajouteraient à la complexité de compréhension. Le consommateur est déjà loin de connaître le 51 Grands Crus, et encore moins ce qui distingue chacun d’entre eux en terme de localisation et de sols. À mon sens, la question a le droit d’être posée, mais il me semble bien plus judicieux d’élever les Pinot Noir au titre de Grands crus.

L’Alsace, Grand terroir de Pinot Noir

On ne peut ignorer la crise qui touche les vins à base de Pinot noir dans le monde. Quand notre premier importateur mondial de vin s’est pris d’amour pour les vins à base de ce cépage, nous y avons vu une excellente opportunité pour notre région Bourgogne qui voyait enfin ses efforts récompensés. 20 ans plus tard, nous voilà fort dépourvus entre prix atteignant les sphères stratosphériques et les productions réduites à néant sur les derniers millésimes. Car nous avions oublié que ce qui fait la grandeur des grands vins de Pinot Noir sont à la fois la qualité de son terroir : plutôt basique et de type argilo-calcaire penchant sur la Calcaire, même si les argiles ferrigineuses donnent des expressions aromatiques extrêmement séduisantes (Corton) et si quelques expressions issues de terroir granitique ne sont pas dénuées d’intérêts (Loire Volcanique). Et d’un autre côté des rendements limités, le chiffre de 30 Hl/ha étant souvent cité. Voilà une équation difficile à résoudre. Si l’on ne peut étendre les terroirs de Bourgogne, ni même augmenter les rendements, que nous reste-t-il ? Les Côteaux Champenois ? Bien qu’intéressants, ceux-ci n’offrent ni la complexité, ni même un grand intérêt économique que l’on regarde côté consommateur ou producteur.

Vous vous souvenez du Gewurztraminer ? En perte de vitesse, celui-ci est planté en mi-côteaux sur les sols argilo-calcaire, tout comme le Pinot gris…ajoutez à cela un climat septentrional adapté à notre cépage et vous avez ici une issue vertueuse à tous les niveaux. Le remplacement des cépages en perte de vitesse au bénéfice d’un cépage dont la demande explose ! Sans oublier qu’historiquement certains terroirs jouissent déjà d’une réputation pour leur vins rouges, le village de Rouffach par exemple. Le domaine Mûré- Clos saint Landelin est pionnier dans la plantation de vignes de Syrah, et la déclinaison de ces vins de Pinot noir n’a plus a prouver quoique ce soit sur leur qualité. Les sols à dominante calcaire du village ont permis de parler de la qualité des Pinot Noirs depuis le XVIIème siècle. C’est ici aussi qu’on retrouve un autre grand producteur de rouge, le Domaine Pierre Frick dont la qualité des Jus est tout aussi prestigieuse avec des cuvées sans soufre.

Ces domaines qui mettent en avant une culture du Pinot Noir historique

Au domaine Emile Beyer, Christian Beyer nous vantait la capacité des clônes de Pinot noir Pommard sur ces terroirs. Et, il est vrai que j’ai souvent rencontré le terme « Épenots » issus de sélections massales Bourguignonnes dans les divers vignobles (Domaine de l’école, Emile Beyer, Mûré…), ces clônes dont la peau est un peu épaisses que celles des clônes de la côte de Nuits semblent très bien adaptés au climat très ensoleillé de l’Alsace. Au domaine Emile Beyer, le Pinot Noir est décliné en 2 version:

Pinot noir Eguisheim qui subit un léger élevage mettant en avant le fruit et la cuvée Lieu-dit Sundel, beaucoup plus solaire qui permet un élevage plus long et qui flirte avec la qualité des grands vins de Bourgogne en côte de Beaune.

Sur Kintzheim, là où se situe la château de la confrérie Saint-Etienne, je vous invite à découvrir si cela n’est pas fait les vins du Domaine Paul Blanck et fils, Philippe et son cousin Éric produisent des vins de garde dont le Pinot noir « F » pour signer le Grand Cru « Furstentum » qui n’autorise (pas encore) le Pinot Noir comme cépage. Mais ce terroir de marnes, grès et calcaire est particulièrement adapté à notre cépage Bourguignon, là ou le granite du Grand cru Schlossberg signe des Riesling fantastiques. Goûtez aussi leur Sylvaner, car lui aussi est très adapté à ces terroirs calcaires.

Dernièrement lors d’une présentation du renouveau alsacien, j’ai pu faire une dégustation comparative à l’aveugle entre la cuvée (que j’appelle prestige) Pinot Noir Weinberg du domaine Etienne Loew face à un Mercurey, seul le boisé un peu plus marqué chez nos amis bourguignons trahissait son origine. La finesse, alliée au croquant d’une bouche pleine de la cuvée alsacienne était bluffante ; d’autant que le terroir de Weinberg est vraiment septentrional. Cette cuvée est issue de sol de Marne sur Muschelkalk, exposée plein nord !! Mais protégée des vents dominants. Le secret: Des vignes de plus de 50 ans et un rendement très bas entre 20 et 25 Hl/Ha…il n’existe que 600 bouteilles par an de ce bijou rare.

Vinification de ce vin: Le domaine est certifié Demeter, Biodynamie; Les raisins sont ramassés en jour fruit. Macération de 10 jours , réalisée avec 95% des raisins entiers (Les rafles permettent une extraction plus douce du jus et la mise en contact des levures avec celui-ci). Pas de levurage, la fermentation est sponatanée avec les levures autochtones. Le remontage est privilégié, 1 à 3 fois par jour, il permet une mise en contact des peaux et du jus tout en facilitant une douce oxygénation nécessaire à la pure expression du fruit et au bon fonctionnement de la fermentation. Mise en bouteille sans filtration, ce qui permet à ce vin de garder une mention nature.

Pinot Noir Weinberg- Caroline et Etienne Loew

Un autre domaine qui produit des Pinot noir remarquable à mon sens, Mélanie Pfister qui propose 3 cuvées. Elle cultive 1 Ha de Pinot noir sur ses 10 ha. Tous les vins sont élevés de manière très douce en fût usagé, ce qui je le rappelle n’est pas traditionnelle ici, le foudre étant plutôt la norme. La différence réside à nouveau dans les types de sol, la cuvée Hüt provient d’un sol calcaire, ce qui lui confère de la structure et une belle acidité. Quant à la cuvée Rahn, celle-ci provient d’un terroir de sable produisant un vin plus souple et sur le fruit, un vin de plaisir plus immédiat.

Mélanie a fait ses classes en Bourgogne (Domaine Méo-Camuzet et à la DRC), établie à Dahlenheim dans la Bas Rhin, elle poursuit le travail de son père qui fût précurseur en Bio. La trame de ses vins : une finesse toujours, du croquant sur des notes de fruits rouges bien mûrs et des épices finement intégrées. Si ce n’est pas fait ses vins sont à découvrir.

Je peux citer aussi le domaine familial Roland Schmitt situé à Bergbieten, qui offre un Pinot noir avec un rapport qualité prix de dingue.

La reconnaissance du Pinot Noir en Grand Cru

Le Vorbourg • © Julien Kauffmann

En 2022, cet élan a permis au Pinot noir de rentrer dans la catégorie des Grand Crus avec les terroirs de Hengst (Grand cru de rouge si l’en est) et de Kirchberg.

En 2024, c’est enfin le Grand cru Vorbourg qui intègre le Pinot noir, en effet les sols Argilo-gréseux qui dominent dans la commune de Rouffach a permis de prouver que le pinot noir du Vorbourg est un cépage local, loyal et constant. On a retrouvé des écrits du 18ème siècle qui parlent du rouge de Rouffach.Véronique et Thomas Mûré. Retrouvez un article ici écrit pour l’occasion

L’Alsace à toujours un regard d’avance !

NB: Au moment ou je termine l’écriture de cet article, Audrey Delbarre publie un article sur l’analyse Géo-sensorielle en terre alsacienne, précisément chez Philippe Blanck. Je vous laisse le découvrir ici

Sources:

  • WSET®
  • Jancis Robinson
  • Vins d’Alsace: site officiel
  • et autres liens insérés dans l’article
  • Si vous êtes sur la Métropole lilloise, vous pouvez trouver la plupart de ces vins chez nos partenaires: Les Vins d’Aurélien (Lille), La Vigneraie (Nieppe) ou encore chez Jules (La Madeleine)
  • Domaines et vignerons cités :
    – Julien Kauffmann
    – Jean-Michel Deiss
    – Olivier Humbrecht
    – Pierre Trimbach
    – Etienne Loew
    – Pierre Firck
    – Mélanie Pfister
    – Emile Beyer
    – Roland Schmitt
    – Paul Blanck & fils
  • Eric Dugardin (Sommelier Conseil)

 

 

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