Bordeaux, Orgueils et Préjugés ?
Bordeaux, cette histoire d’amour à la française, digne du plus célèbre des opéras de Bizet. On l’adore, on le déteste, on chante ses louanges pour mieux lui tourner le dos ensuite. Une véritable joute sentimentale qui dure depuis 1855 (et sans doute bien avant). Les Grands Crus Bordelais ne cessent d’agiter les propos.
Vous l’avez déjà croisé, bien sûr. Vous le connaissez et le reconnaissez grâce à ses célèbres sept appellations, qui font de lui le plus grand vignoble de vins fins au monde. Mais c’est surtout à travers ses châteaux que Bordeaux fascine… Ah, ces noms de châteaux ! Ils enflamment notre imagination, nous plongeant dans un univers de contes et légendes. Ils construisent habilement le paysage bordelais mais surtout le mythe et ce prestige qui entoure ces domaines emblématiques.
Pourtant, il semblerait que notre amour pour les tours, les chevaux blancs et les chevaliers ne soit plus autant au rendez-vous, entament le nouvel acte de cette sérénade.
Eh oui, il semble bien que la lumière soit désormais braquée sur d’autres acteurs délaissant notre scène bordelaise.
Mais, chez Déjeunons sur L’Herbe, nous aimons ces vignobles emblématiques, ces incontournables, qui, dans l’ombre d’un projecteur médiatique boudeur et d’épicuriens si peu curieux, s’efforcent de se réinventer pour reconquérir le cœur des plus sceptiques.
Alors, suivez-nous ! Nous vous emmenons à la découverte d’une partie du vignoble bordelais découvrir 4 Grand Crus Classés et ce qu’ils sont devenus en 2025 !
Château Dauzac, Margaux, 5ème Cru classé 1855
On entre côté jardin, Rive Gauche de la Garonne. Nous sommes en 1855, lors de l’Exposition universelle de Paris. Napoléon III, désireux de mettre à l’honneur les produits et œuvres de France, voit un autre protagoniste entrer en scène : Lodi-Martin Duffour-Dubergier, président de la Chambre de commerce de Bordeaux. Sa volonté ? Établir un classement des meilleurs vins de la région. Ainsi naît, résumons-le, le célèbre classement de 1855, qui propulse notamment Château Dauzac (Margaux) au rang de cinquième cru classé parmis les Grands Crus Bordelais.
Si vous souhaitez en découvrir davantage, je ne peux, d’ailleurs, que vous conseiller de visiter ce château. J’y ai été accueillie par une passionnée, qui m’a immédiatement transportée dans l’histoire fascinante de la rive gauche. Ce véritable voyage dans le temps s’est enrichi d’un parcours œnologique tout aussi captivant.
La visite commence évidemment par la cuverie, majoritairement équipée de cuves inox, complétées par quelques cuves tronconiques en chêne, avant de nous mener à la cave impressionnante du domaine, où se mêlent barriques et foudres.
Mais je vous vois venir, impatients d’en savoir plus sur la dégustation, ce moment tant attendu. Patience ! Avant cela, j’ai eu l’opportunité unique d’assembler mon propre vin, à partir des trois éléments majeurs de Dauzac : un cabernet-sauvignon, un merlot et un vin de presse, tous issus du millésime 2023. Une expérience à la fois instructive et intuitive, où l’on s’immerge pleinement dans le processus de création. Avec ce parcours mêlant histoire, théorie et pratique, impossible de ne pas apprécier, mais surtout, de ne pas comprendre le vin que l’on déguste par la suite.
Chez Dauzac, la dégustation en pleine conscience est une véritable maîtrise.
Château Phélan-Ségur, Saint-Estèphe
Toujours rive gauche, direction le nord, je remonte la Garonne jusqu’à Saint-Estèphe, au Château Phélan-Ségur, un havre de paix niché au cœur de cette appellation. On l’aime pour son accueil chaleureux, son décor élégant et son cadre propice au partage. Mais surtout, on l’aime pour son terroir riche et varié. Bien que non classé parmis les Grands Crus Bordelais, le château fait partie intégrante de l’Union des Grands Crus de Bordeaux depuis le début.
Un écrin de biodiversité de 114 hectares de Parc, forêts, prairies et étangs accueillent les 70 hectares de vignes répartis en quatre îlots, véritable expression de la diversité des sols de graves argileuses de l’appellation. Viticulture bienveillante, vie des sols, sélection massale, vinification avec des levures indigènes parcellaires, tout contribue à révéler l’identité originelle du Cru.
Ici, la dégustation prend une autre dimension : elle se veut verticale. Un vin, trois millésimes consécutifs, chacun révélant sa propre personnalité. Dans un salon privatisé, à l’atmosphère typiquement châtelaine, une table soigneusement dressée nous attend. Par les grandes fenêtres, le regard s’attarde sur le jardin avant d’être inévitablement captivé par la robe des vins, servis avec soin.
2017 : une explosion de fraîcheur et d’acidité, des fruits croquants et des tanins bien marqués.
2016 : mon coup de cœur. Moyennement corsé, doté d’une belle structure et d’un caractère affirmé, ce millésime est empreint de fougue ! Les tanins, denses et parfaitement équilibrés, portent une finale longue et puissante.
2015 : souple, fruité et onctueux, il séduit par sa justesse, son confort et sa précision.
Scène de fin pour notre Rive Gauche, sortie côté cour…
Figeac, le Premier des Grands
Vous l’aurez compris, cap sur la Rive Droite, et plus précisément sur Saint-Émilion. Une appellation bien connue, certes, mais qui a rejoint les classements des Grands Crus Bordelais, plus tardivement. Eh oui, en 1855, la rive droite était absente des radars ! Ce n’est que bien plus tard qu’elle a établi ses propres règles et distinctions.
Faire partie d’un cru classé ? Ô, si vous êtes friands de débats houleux et de cahiers des charges aussi longs que les neuf saisons de La Petite Maison dans la Prairie, alors lancez-vous sans hésiter ! Ce n’est pas une entreprise de tout repos.
Quoi qu’il en soit, ma destination est le Château Figeac, fraîchement promu en 2022 au rang prestigieux de « Premier Grand Cru Classé A » par la commission. Une première historique pour les vins de Bordeaux et de Saint-Émilion ! Un événement qui marque une nouvelle étape dans l’histoire de cette appellation emblématique.
Reçue dans un cadre idyllique, j’apprends que ce lieu est chargé d’histoire. En effet, il semblerait que de 1947 à 2010, Thierry Manoncourt a façonné le « style Figeac », alliant un sens aigu de l’innovation et une approche du vivant visionnaire pour son époque. Ingénieur agronome de formation, il a marqué de son empreinte le Château Figeac, en y introduisant des avancées technologiques et scientifiques majeures. Il fut notamment l’un des premiers à utiliser des cuves en inox sur le domaine, une révolution à l’époque.
Aujourd’hui, sous la direction de femmes, le château reste à la pointe des technologies. Avec un nouveau chai, des recherches constantes, et une précision presque obsessionnelle, chaque étape du processus est réalisée avec une minutie extrême. De la sélection des baies, à la fois manuelle et au laser, au choix des cuves de fermentation, en passant par les techniques avant-gardistes de vinification, jusqu’à la surveillance attentive de leurs barriques comme l’on surveillerait un nourrisson fragile.
Cette minutie se ressent, sans surprise, dans leurs vins. Après une visite du domaine, vient le moment de la dégustation dans une salle somptueuse, baignée de lumière grâce à de grandes verrières offrant une vue imprenable sur le chai.
Puis vient l’instant tant attendu : le Château Figeac 2015 s’avance. Le flacon s’ouvre, libérant immédiatement un parfum fruité et enivrant qui embaume la pièce. La dégustation s’installe alors dans un silence presque solennel, où seuls ces fameux parfums s’exercent à une valse aromatique, captivant chaque sens.
Au nez, ce vin est chaleureux, gourmand, et enrobé de rondeur et d’onctuosité, mais la fraîcheur qu’il dévoile en bouche surprend et séduit tout autant. Les tanins sont d’une finesse saisissante, exprimant une délicatesse et une finesse fruitée qui subjuguent. Que dire, si ce n’est remarquer ce qui est tout simplement remarquable ? La signature des Grands crus Bordelais.
Les Crasses de Fer du Château Taillefer
Traversons la route, ou plutôt la vigne. Juste de l’autre côté, Pomerol dévoile l’un de ses humble joyaux : le Château Taillefer. « Ce sont les oxydes de fer, caractéristiques de Pomerol, qui sont à l’origine du nom du Château Taillefer. Les anciens racontent que la charrue « taille le fer » tant elle soulève d’oxydes dans ce vignoble », explique Claire Moueix. Pomerol est une appellation qui fait les vins les plus prestigieux au Monde sans pour autant appartenir à aucun système de classification. Ici, il n’y a pas de Grands Crus Bordelais mais bien des Grands Vins.
Je suis accueillie par Cyril, époux de Claire et viticulteur passionné, qui m’invite à découvrir un domaine où l’authenticité et l’amour du terroir règnent en maître. Son discours est inspirant, franc et sans détour. Ce sont les mots d’un homme qui vit au rythme de sa terre, qui connaît ses moindres nuances et ses millésimes par cœur.
Avec une simplicité désarmante, Cyril partage les réalités du quotidien d’un vigneron bordelais. Les défis climatiques, comme ces courants d’air froids redoutés qui menacent les récoltes. Les équipements techniques, fruit d’innovations nécessaires pour s’adapter aux aléas modernes. Les vendanges, moment clé où la patience et la vigilance sont mises à l’épreuve. Et surtout, l’entraide entre viticulteurs, ce lien humain indispensable pour traverser les tempêtes, littérales comme figurées.
Mais au cœur de tout cela, il y a la vigne. Cette plante vivace, exigeante et parfois capricieuse, qu’il admire, comprend et tente d’apprivoiser. Son amour pour la vigne, son respect pour ce qu’elle représente et la fascination qu’elle inspire transparaissent dans chacun de ses mots. Vous ne recevez pas ici une simple leçon de viticulture : vous êtes plongé dans l’âme même d’un domaine familial où chaque grappe raconte une histoire.
Cette authenticité et ces valeurs se retrouvent dans leurs vins. Généreux, conviviaux et empreints d’une véritable signature terroir, ils traduisent l’équilibre entre tradition et modernité que le domaine s’efforce de préserver.
Château Taillefer n’est pas seulement un lieu : c’est une rencontre. Une rencontre avec la terre, les hommes et leur savoir-faire, où chaque détail témoigne de l’effort, de la passion et de l’héritage transmis de génération en génération.
Rideau tiré pour la Rive Droite, les acteurs quittent la scène.
La scène bordelaise s’éteint doucement, le rideau tombe…
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Sources:
- Visite des Châteaux faites en Janvier 2025
- Le site de l’Union des Grands Crus de Bordeaux